Une barque

lacJe marche sur le chemin de pierres pavées. Le jour se lève. Les fines herbes bordant le sentier sont toutes perlées de rosée. Feuilles graciles, scintillantes, chargées de pierres précieuses. Lumière horizontale, pelucheuse comme la peau d’un abricot. Aube douce et sereine.

Je marche sur les pierres plates, le long du fleuve. Le courant est si discret qu’on le croirait immobile. L’alouette chante déjà, haut dans le ciel saumoné. Une brume fine et délicate monte des eaux sombres et secrètes.

Je marche sur le chemin de pierres plates. Tranquillement, résolument. Mes pieds ont pris le rythme. Dès le matin, ils s’ajustent à mon intention. Et avalent les kilomètres. Cela fait si longtemps que je marche.

La montagne étire ses vallons et ses collines le long de l’horizon. Forêts sombres et douces comme un pelage, prairies claires et lisses, morceaux de lande desséchée. Une buse lance son cri sauvage, tournoie dans le ciel laiteux et incertain.

Je marche seule, le long du chemin de pierres qui borde le fleuve. Un ponton, sept barques. De belles barques de bois, peintes en blanc. Les rames sont sagement alignées et attendent le visiteur. J’ai envie de monter dans l’une d’entre elles.

Celle qui est seule, de l’autre côté du ponton. Je détache la corde, m’installe. Sens la souplesse de l’eau sous la coque. Je quitte la stabilité du chemin de pierre pour la fluidité de l’élément liquide. J’ajuste les rames. Elles font un joli bruit mat et plein lorsqu’elles heurtent la coque. La barque est humide du brouillard matinal. Le manche des rames a un contact agréable, bois verni et lisse, frais sous ma paume.

Mes pieds ont laissé la mécanique de la marche, ils reposent sur le fond plat. Mes bras prennent la relève. Après quelques tâtonnements, ils trouvent le rythme. Les rames caressent l’eau, produisent  un agréable clapotis qui berce mon voyage. Je gagne le milieu du fleuve, avance tranquillement, régulièrement. L’air n’est pas le même ici. Un peu plus frais.

Je considère le chemin de pierre, sur lequel je cheminais quelques minutes plus tôt. Il me semble voir mon double avancer lentement. Sac à dos léger, pantalon fluide, foulard noué dans les cheveux. Je laisse mes pensées sur la rive et porte mon regard devant moi. Le fleuve se déroule comme un ruban bleuté, teinté de gris, mâtiné de blanc. Les pentes douces de la montagne se reflètent dans ses eaux mystérieuses. Là bas, il fait un coude. Je ne peux pas voir plus avant. Coups de rames réguliers. J’avance. De loin en loin, j’entends la buse chasser. Le soleil a maintenant dissipé la brume.

Je sens soudain une présence, une caresse légère et subtile sur mon pied gauche. Je baisse les yeux et découvre une grenouille perchée sur mon orteil. Une petite rainette vert pomme. Ses yeux sont deux bijoux d’eau sombre, ses flancs battent en rythme. J’ai embarqué sans le vouloir un passager. Ou plutôt, je me suis invitée sans permission. Nous sommes deux à voguer maintenant vers l’horizon et l’inconnu.


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