Petit matin tranquille. La pluie tombe méthodiquement, toute appliquée à tremper chaque feuille, chaque brin d’herbe, chaque pierre.
Silence.
Je grignote une tartine, face à mon bol de thé et ma théière jaune. Mes pensées flottent encore dans les brumes du sommeil. Elles s’arrêtent sans crier gare à cet autre matin, 20 ans plus tôt. La même théière jaune, toute jeune et fringante, remplissait ses offices sur la table du petit déjeuner.
Silence.
Un de ces petits matins où le temps s’étire devant une journée de vide et de possibles. Mon attention fut soudain retenue par un bruit timide et ténu, trahissant une présence insoupçonnée dans ma cuisine. Cela venait de mon placard à provisions. A petits pas félins, j’allai jeter un œil par la porte entrouverte et aperçut avec ravissement une souris. Assise sur son petit train arrière, elle était toute occupée à grignoter une quelconque miette qui traînait là. Cela ne dura qu’un instant, elle sentît ma présence et disparut en un éclair.
Je déposai chaque jour désormais, un morceau de gâteau sec.
La part de la souris.
Chaque matin, nous grignotions toutes les deux tranquillement, dans le silence de la maison. J’aimais cette présence minuscule dans ma cuisine. Je me gardais bien de la déranger. Nul besoin de capturer son image. L’imaginer se régalant, suffisait à mon plaisir.
Les matins s’écoulèrent, les uns après les autres. Je ne me lassais pas du bonheur de partager quelques instants de la vie de ce petit animal qui avait choisi ma cuisine. Il menait là une vie parallèle à la mienne, et je me plaisais à découvrir d’autres vies, d’autres univers dans mon univers. L’araignée sur le plafond, les forficules (le nom savant pour perce-oreilles, n’est-ce pas là un mot merveilleux ?) hibernant sous mes pots de fleurs sur le balcon. Nous vivions chacun en bonne intelligence, n’empiétant pas sur le domaine de l’autre.
Mais un matin, je n’entendis pas le grignotement familier de ma petite souris.
Silence.
J’allai voir dans le placard. Le morceau de gâteau gisait là, intact. Je déposai un deuxième morceau.
Le lendemain, personne. Les biscottes craquaient sous mes dents sans l’écho des mâchoires miniatures.
Silence.
J’interrogeai l’araignée du plafond. Coup d’œil circulaire dans ma cuisine. Mon regard buta sur le grille-pain, là haut sur le réfrigérateur. Prise d’un horrible pressentiment, je me levai. J’hésitai une seconde, je savais déjà ce que j’allais y trouver. Là, au fond, dans les vieilles miettes, gisait ma petite souris. Se prenant pour la chèvre de Monsieur Seguin, elle avait voulu varier ses plaisirs gustatifs, découvrir d’autres horizons, escalader son Himalaya.