Debout au bout du quai, j’attends le train. Dix minutes s’étirent devant moi comme une plage déserte. Des écouteurs sur les oreilles, je ne fais que regarder le monde sans paroles autour de moi.
A quelques mètres, une mouette perchée sur un lampadaire. Immobile, elle considère le monde autour d’elle, comme moi. Les plumes ébouriffées par le froid, elle oscille la tête en permanence, ses petits yeux en bille de charbon épinglent les moindres détails de son environnement. Elle m’a bien sûr remarquée, et jette de fréquents coups d’œil dans ma direction. Je fais partie de son paysage.
Je reste dix minutes à ne rien faire d’autre que la regarder. Entre elle et moi, la voie ferrée, traversée de temps en temps par un train qui ne prend pas la peine de s’arrêter. Trois en dix minutes. A chaque passage, l’air vibre et s’emplit du vacarme de ses roues grinçantes, fer contre fer. Je ne vois plus la mouette et pense qu’elle se sera envolée. Le train est passé, le silence revenu, et la mouette n’a pas bronché. Les trains filant à grande vitesse font aussi partie de son paysage.
Elle ne fait peut être rien de bien intéressant. Enfin, moi ça m’intéresse énormément. Immobile sur son lampadaire, elle considère le monde. Soudain, elle ouvre le bec et baille. Un bâillement voluptueux qui dure. Et me ravit. Puis elle étire sa patte droite en arrière, une belle arabesque qui dure aussi. Parfait équilibre. Elle a repris la pose. Elle ne fera plus rien d’autre. Mais ça me suffit. Ces dix minutes m’ont enchantée.
Mon train arrive sur le quai et je me surprends à presque regretter d’y monter. Ces instants en compagnie de la mouette m’ont apportée un bien être inattendu. Un lien subtil s’est installé entre nous, elle l’oiseau, et moi l’humaine. A travers la fenêtre sale du compartiment, je tends mon cou et l’aperçois pour une seconde encore. Elle oscille de la tête. Le train s’en va. Elle disparaît. Dans ma tête, il reste encore un peu de l’oiseau. Étirer son corps à l’infini. Cultiver l’immobilité et la légèreté.