Faire du café… Je regarde mon étagère, la petite cafetière italienne se serre à côté de la grosse boîte en métal qui abrite la précieuse poudre. Il suffit d’ôter le couvercle et de respirer précautionneusement l’odeur magique, familière, banale et puissante à la fois.
Le café… Je me souviens de l’amour immodéré que notre mère porte pour le café. Petite, je l’accompagnais le mercredi après-midi en ville. Entre autres emplettes, nous allions au Globe, grand magasin huppé, trop cher pour nous. Nous marchions d’un pas léger et alerte, zigzaguant entre les rayons en évitant de toucher les étoffes trop tentantes et regarder les prix exorbitants. Au fond, se tenait l’épicerie fine et le traiteur. Nous allions droit vers le comptoir des thés et cafés. L’odeur de torréfaction était incroyablement forte et attirante. Le café en grains attendait qu’on veuille bien le moudre dans un de ces moulins électriques bruyants trônant sur le plan de travail à l’arrière. Ma mère choisissait le mélange viennois. Un arabica merveilleux, riche, parfumé et enjôleur. Elle glissait le paquet de 250g dans son sac, avec un petit air de satisfaction.
Nous marchions vers le bus, dans le froid et l’obscurité de ces jours courts. La ville bruissait de sons et de lumières, néons, vitrines violemment éclairées, voitures énervées et fébriles, foule compacte et fatiguée. Sacs en plastique et cabas domestiques, papiers gras oubliés sur le trottoir mouillé, humains oubliés assis sur le même trottoir, chiens se serrant contre la jambe du maître, freins crissant des autobus, visages inconnus. J’avais le vertige mais je serrais la main de ma mère. Une demi-heure de trajet en bus, l’odeur magique s’échappait du sac à main, promesse de confort et de gourmandise. Ma mère était toujours un peu fière de tenir au creux de son sac, le paquet encore chaud. Jour après jour, matin après matin, ce café de bonne qualité apportait sa touche de luxe dans notre quotidien modeste. On buvait du café du Globe, 100% arabica.
Au dessus de ma cafetière italienne, six gobelets en porcelaine se tiennent debout en rang serré ; rouge, sable, orange, turquoise, aubergine, et vert anis. Hauts et étroits, cannelés, ils reçoivent et honorent le breuvage sombre et odorant.
J’aime les gestes nécessaires à la confection du café. Remplir d’eau claire le réservoir inférieur, y déposer le petit filtre en aluminium, ouvrir la boîte métallique et recevoir l’odeur magnifique à pleines narines, déposer un peu de poudre au fond du filtre et lisser du plat de l’index, délicatement, sans tasser, visser la partie supérieure, ajuster le réducteur de métal sur le gaz, y poser la cafetière sur feu doux. Attendre que l’eau bout et monte dans le petit conduit avec ce chuintement caractéristique. Voilà, c’est prêt. Il ne reste plus qu’à verser dans le gobelet, dont j’aurai choisi la couleur en fonction de l’humeur du jour. A la couleur de mon esprit, comme disait ma grand mère. Immédiatement la cuisine s’emplit de l’odeur du café, qui signifie pour moi convivialité, confort domestique, chaleur, sécurité, gourmandise, vitalité et souvenirs d’enfance. Un gros morceau de bonheur à portée de main et d’étagère.
Facile. Magique.