Escapade inopinée

altarRéveillée à 5h45. Avec une envie de me lever là, maintenant, tout de suite. Il fait encore nuit noire. Et pas un bruit. Je m’enroule dans ma couverture, m’assois sur mon coussin de méditation, ferme les yeux. Respire lentement, très doucement, comme si j’avais une flamme de bougie juste sous le nez et que je ne voulais pas la faire trembler avec mon souffle. Le meilleur moyen que j’ai trouvé pour m’ancrer dans l’instant présent, couler dans mon corps, retrouver l’île secrète au fond de moi, cet endroit tranquille et calme, de paix profonde, toujours disponible, pour peu que j’arrive à l’atteindre. Et il est là, en chacun de nous. Il suffit de se donner les moyens de s’y rendre.

Les minutes filent. Lorsque j’ouvre les yeux, 40mn se sont écoulées. Il fait encore nuit, mais on devine l’aube.

petit dejeunerJe prépare le petit déjeuner. Chaque jour, les mêmes gestes renouvelés, mais qui m’apportent toujours autant de plaisir et jamais de lassitude. Faire chauffer l’eau dans la bouilloire, mettre 2 c à café de thé noir du Yunnan avec 3 gousses de cardamome dans ma théière jaune. Lorsque l’eau frémit, la verser sur le thé et mettre le couvercle. Laisser infuser durant 5 bonnes minutes. Faire griller deux tranches de pain complet, disposer sur un plateau le beurre, le miel, le pain, un petit pot de yaourt de soja ou de brebis, quelques graines de sésame, un pichet de lait frais.

Transporter le plateau dans le séjour. Où Pilou dort profondément, la truffe nichée dans la peau de mouton qui tapisse son fauteuil en osier. Le lampadaire diffuse une lumière douce et tamisée. Tout est tranquille, dehors et dedans. J’entends le « ting » du tram au loin. Il fait frais dehors, et bien chaud ici. C’est mardi matin, tout le monde travaille, la ville est pleine, les commerces, les bureaux, les écoles, les usines, les entreprises, ça fourmille, ça produit un maximum. Moi même je vais prendre part à cette grande danse humaine, ajouter ma petite énergie à tous ces bras et ces cerveaux qui travaillent. Mais j’ai quelques heures devant moi. Trois heures… La mer m’appelle. Ses rivages déserts s’étirant jusqu’au bout de la brume, les pattes palmées des goélands foulant le sable mouillé, plus loin les dunes et le brame des cerfs…

Je saute sur mon vélo et file vers la gare. Dans mon sac, mon Ipod, mon appareil photo, une thermos de thé vert, et une boîte de riz pour le déjeuner. Je pédale, me fonds dans le flot des cyclistes partant pour leur travail. Je me sens touriste, ou élève faisant l’école buissonnière.

trainPersonne dans le wagon. Le train s’ébranle, prend de la vitesse, fend l’air immobile et blanc; le jour est avare de lumière; le ciel si bas qu’on penserait être déjà à la fin de la journée. Paul Simon résonne dans mes oreilles, son dernier album « So beautiful or so what ». Sublime. Mon esprit danse, jubile et pétille. Je me sens légère comme un papillon juste éclos.

maisons

Façades de briques sombres, éoliennes, pâturages encore bien verts, ponctués de canaux argentés par la lumière d’automne, maisons flottantes, et des bois,  des bois, des bois. Au fur et à mesure que le train s’éloigne d’Amsterdam, la végétation se fait plus présente. 9.45, je saute sur le quai de la minuscule gare terminus; après les rails, la plage…

goelandsMes pieds s’enfoncent dans le sable sec et froid. Tous les petits cafés, restaurants, gargotes et guinguettes de la saison douce, se sont volatilisés; démontés, ils reposent dans le secret de hangars et dormiront jusqu’au printemps prochain. Reste le rivage magnifique, long et pâle. L’horizon se perd dans la brume, le soleil rond et blanc, ressemble à la lune. Je marche sur le sable mouillé, des nuées de goélands et de mouettes s’envolent à mon approche, pour aussitôt se poser au même endroit derrière moi. Immobiles, les pattes dans l’eau, ils semblent goûter la paix tranquille et sacrée de la mer. Un goéland étire une patte et une aile à l’infini, baille de tout son bec orangé, un autre dort, la tête nichée sous l’aile, un troisième se toilette soigneusement. Mais la plupart d’entre eux ne fait rien d’autre que rester immobile, dans le mouvement inlassable des vagues.

landeJe gagne le domaine dunaire. Je marche sur le sentier de sable, perdu au milieu de la lande. Je suis la seule humaine. Des oiseaux, un cerf sur le chemin, qui me regarde et puis s’en va. Il y a quelque chose de magique à marcher comme cela, dans le silence touffu, dans l’air immobile, dans le frais de l’automne, avec ce soleil qui se prend pour la lune. plante rosetteUne petite plante dont j’ignore le nom, pousse avec vigueur, étale ses feuilles en fractale, semble sortir de la pierre et des graviers; je suis toujours impressionnée par tant de force et de vie. Elle ne demande rien à personne, et explose de vie. En silence. Sans tambour ni trompette. J’aime comment la vie se fraye un chemin dès que c’est possible.
cerfJ’ai marché sur le sentier dallé, une route interminable, le long de canaux, avec les oiseaux pour tout compagnon. Une biche se reposant au pied d’un arbre, se fondant presque parfaitement dans les couleurs de l’automne. J’ai rejoint la mer, retrouvé les goélands et les mouettes bavardes, les chiens courant sur le sable, ivres de liberté, les quelques humains ayant pu s’échapper, comme moi. Il me faut rentrer. Le train m’attend sur le quai désert. Coup de sifflet, il s’ébranle et s’en va. Je vais retrouver l’activité fiévreuse de la ville. Mais je garde en moi l’immensité silencieuse des landes et du sable, des biches et des plantes poussant dans la pierre.


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