6.15: un quart d’heure avant la méditation collective, je sors dans le jardin goûter l’air de l’aube. Mes pas me conduisent vers la route qui mène à la digue. Il fait frais. Le ciel est clair, le chemin étroit de la digue s’offre à moi, en tours et en détours, tranquille et humble. Je lui tourne le dos à regrets.
Je dois me rendre à la méditation collective. Je marche vers la maison, pénètre dans la salle commune et m’installe sur mon coussin. Tout le monde n’est pas encore arrivé. Je ferme les yeux déjà et me prépare à méditer. Très vite, mes narines captent l’odeur de l’encens. J’ouvre les yeux et aperçoit la fumée délicate et sinueuse, qui voyage dans l’air immobile dans ma direction. Je ferme les yeux, résignée. Je n’aime pas l’encens. Je sens quelque chose se raidir dans ma poitrine.
L’image du petit chemin serpentin, l’air pur et velouté de l’aurore, son calme somptueux, s’imprime en moi, persiste. Une petit voix me chuchote: « Échappe-toi, c’est dehors que ça se passe ». Je rouvre les yeux. Les dernières personnes s’installent. La méditation va commencer. Deux secondes de réflexion et je me mets debout. Je me glisse vers la porte et la referme doucement. Quelques pas et me voilà dehors. Je m’échappe. Ha! Ces premières minutes de liberté, je les goûte comme un nectar. Le sentier se déroule devant moi, plein de promesses douces et mystérieuses.
Je marche. Les martinets sont déjà au travail, fendant l’air de leurs ailes acérées comme des faucilles. A ma droite, le fleuve. Une brume laiteuse, évanescente, s’accroche à ses eaux. De temps en temps, une péniche s’avance, glisse silencieusement, et disparaît.
Je marche. Des oies sauvages cheminent au bord de la rive, l’une derrière l’autre, en colonne serrée et sage. La première décide de piquer une tête dans le bras d’eau adjacent au fleuve. La berge est un peu haute. Elle tend son cou et se lance. Les autres suivent, tant bien que mal, certaines plus intrépides que d’autres. La colonne militaire s’est transformée en troupeau chaotique et incertain. Finalement, elles y parviennent toutes, et voguent maintenant sur l’eau lisse, à nouveau bien alignées.
Je marche. Je respire en grand l’air pur, frais, nouveau, du jour qui s’annonce. Je pense à la salle commune, à l’encens qui flotte et alourdit l’atmosphère, à la méditation qui doit maintenant se terminer, aux chants de dévotion qui s’élève des vingt-deux personnes rassemblées là. Je regarde autour de moi, embrasse l’horizon cotonneux, les frêles tiges des fleurs sauvages se balançant sous la brise matinale.
Je sens toujours plus fort la présence de Dieu là, dehors, dans la nature. Dans ce bourdon volant, concentré, d’une ombelle à l’autre, dans ces gouttes de rosée vernissant les longues herbes bordant le chemin, dans le cri mélodieux et mélancolique du merle, dans l’escargot rayé cheminant laborieusement sur l’asphalte de la route … Je m’arrête, ouvre les bras, embrasse le silence, le vent, le vide et le plein. Dieu est partout, et j’ai le sentiment d’être ici exactement à ma place.
Je marche. Je me laisse porter par le chemin qui me montre la route. Cueillant du regard ce qui s’offre à moi au fil des minutes qui s’écoulent.